Un soulagement

« Apparemment, Edwige habite au Canada. Elle nettoie des bureaux car elle a quitté ses études. Comme elle était douée ! Récemment j’ai croisé Inès, je ne l’ai pas reconnue à première vue, elle avait grossi. » Des sœurs… Elles s’efforçaient de perpétuer leur jeunesse à travers la mémoire. Elles aimaient débattre de rencontres accidentelles avec une amie d’avant, l’une ou l’autre, ou analyser les erreurs et les défauts d’autrui. Après avoir parlé d’Edwige et Inès, elles ont parlé des enfants, voisins et amis. Elles ont donc analysé leur vie.

Des sœurs. Les filles de la mère qui les maintenait en vie à l’occasion. Elle les nourrissait à l’occasion, les envoyait à l’école à l’occasion. Dans la ville où elle était à l’occasion. Elles n’avaient jamais l’impression d’avoir leur place légitime. Elles étaient pleines de honte, de culpabilité et de sens de responsabilité. Pour racheter le bail à vie, précipitamment, en s’inquiétant pour ce qui était à faire, elles visaient la perfection. Il faut être gentille et serviable, sans le moindre ennemi puisqu’elles supportent à peine leur conscience qui les malmenait. Sans désirs car il semble qu’on ne puisse pas en avoir à l’occasion.

Elles étaient pleines d’un chagrin imprécis et de doutes mais ce dont elles étaient sûres, c’était qu’il fallait aimer la mère et s’occuper d’elle lors de sa vieillesse. Elles noyaient cette conviction dans une grande quantité de vin. Elles noyaient des mots méchants lancés sans réfléchir par une vieille agressive. Après, elles ne savaient mêmes pas ce qui avait provoqué la douleur. On ne pouvait que se mettre en colère, une colère impuissante et silencieuse. « Et si on commençait à lui donner des calmants ? » – a dit l’une. Comme si sa vie avait pris la parole. Comme si, tout à coup, étaient apparues des solutions et la croyance qu’elles avaient le droit au calme, que c’était possible de ne pas être une victime. « Des médicaments, c’est une excellente idée ! Est-ce qu’on peut en surdoser ? » – se sont-elles demandé avec un espoir. L’une a répondu implicitement, avec la certitude d’une personne riche d’un savoir provenant d’une source fiable, qu’on ne dissèque pas les gens de cet âge…»