Les mots

Il semble qu’il n’y ait rien de plus dangereux que les mots qui circulent. Les actions quotidiennes sont plus faciles à attraper, à nommer, à voir. Et les mots ? On peut les nier, dire que ce ne sont que des mots, qu’ils sont sortis tous seuls, que c’est dit de manière imprécise, que c’est une blague, que ce n’est pas vrai, que tu as mal entendu, que tu es trop sensible et que tu les interprètes mal. Avec les mots, on peut blesser mais comme si c’était pour de faux.

D’aussi loin qu’elle se souvienne, la vie avec sa mère l’a habituée à des avalanches de mots. Elles étaient riches en insultes, railleries et avertissements. Il ne fallait pas discuter, le risque de se briser le cou était trop grand. L’appartenance à cette femme supposait l’existence d’un moment paradoxal où il fallait volontairement, suite à son choix, accepter ce qui était imposé. Après une attaque de rage, la mère redevenait gentille. Elle invitait sa fille à faire les magasins. Là, elles décoraient leur amour compliqué.

Quand elle a commencé à atteindre la puberté, sa mère regardait son corps changeant comme le signe d’une chute physique. Ses hanches étaient observées le plus attentivement. Enfin, la sentence est tombée « Ton cul devient énorme. Comme celui de ta grand-mère ». Elle se souvient qu’en ce temps-là elle souffrait beaucoup à cause de ce qu’on pourrait nommer le mal et puis l’étrangeté. On disait que c’est l’adolescence. Que sa souffrance est la faute de cet âge.

Elle avait besoin d’un talisman pour chasser le mauvais sort des mots, d’un sérum contre le venin. Elle avait besoin de sureté, d’une preuve de la vérité. Quelque chose qui l’aiderait à faire confiance à ce qu’elle voit et ressent. Un short vert ! Celui en soie avec des jambes dépliables. Elle l’a reçu il y a un an quand personne n’avait rien à reprocher à ses fesses. Elle adorait ce short, elle y faisait attention. Il ne pouvait pas mentir ! Après les flots de paroles de sa mère, elle se cachait dans sa chambre. Elle enfilait son short, il lui allait comme un gant. Elle attendait que le monde autour d’elle se transforme.